May 28, 2024

COOPÉRER LOCALEMENT POUR INNOVER GLOBALEMENT

L’innovation territoriale

Comment une rencontre improbable peut-elle aboutir à une invention incroyable ? C’est le titre que j’aurais pu donner à la conférence d’ouverture que j’ai eu le plaisir de réaliser il y a quelques semaines dans ma ville natale, Brest, à l’occasion de la pendaison de crémaillère d’un nouvel espace dédié à l’Innovation sur le Territoire.

J’ai souhaité introduire cette conférence par le récit de la rencontre, en 1940 à Los Angeles dans le quartier d’Hollywood, d’Hedy Lamarr et de George Antheil. Hedy Lamarr était alors une jeune actrice à la réputation sulfureuse, connue pour avoir réalisé la première scène de nu de l’histoire du cinéma et, toujours dans le même film intitulé Extase, réalisé le premier orgasme simulé devant une caméra. George Antheil était lui un compositeur et pianiste avant-gardiste et excentrique, passionné par les Pianolas dits aussi « pianos mécaniques ». Le récit de leur rencontre est passionnant, car il illustre comment la relation entre deux êtres humains peut aboutir à l’ouverture de champs surprenants si on sait construire une relation de confiance, s’autoriser à partager ses idées et s’ouvrir à la différence. Pour ceux qui ne connaissent pas encore cette histoire, je vous laisserai la découvrir dans l’ouvrage « l’Art de l’Innovation ». Mais si je devais en faire le pitch, je le résumerais ainsi : Une sulfureuse actrice de cinéma rencontre un pianiste excentrique au début de la 2ème guerre mondiale pour parler d’augmentation mammaire, et finissent finalement par inventer un système de communication radio cryptée dont le concept se retrouvera au cœur de technologies majeures, 60 ans plus tard, telles que la téléphonie mobile, le bluetooth ou encore la wifi.

Si je ne vous en donne pas le détail ici, cette histoire incroyable mais vraie m’a permis d’illustrer certains aspects majeurs des processus de créativité et d’innovation et de souligner un triptyque sur lequel peuvent s’appuyer les acteurs et territoires qui souhaitent innover.

Un triptyque que l’on pourrait résumer ainsi : Partage, Relation et Ouverture.

Le partage

Le partage des idées est indispensable au processus de créativité. J’ai souvent eu l’occasion ces dernières années de souligner ce point, déjà en 2013 sur la scène du TEDxVaugirardRoad et de le préciser en 2016 sur la scène des Horse Innovation Talks. Si je devais résumer cette approche de la créativité je dirais que la créativité n’est pas une activité réservée à quelques personnes talentueuses, une élite : c’est un simple jeu de Lego accessible à tous. Comme le disait Steve Jobs, la créativité c’est juste connecter, relier des choses entres elles. C’est une activité qui consiste à jouer avec les « paradigmes ». Qu’est-ce qu’un paradigme ? En matière d’innovation, un paradigme est un élément, un Lego, qui permet de définir un objet ou un sujet. Prenons quelques exemples. Un aspirateur c’est, de manière classique, un tuyau d’aspiration, un système de ventilation et un sac pour récolter la poussière. Comme dans un jeu de Lego, quand j’ai identifié les Lego qui composent mon objet ou mon sujet, je peux alors faire trois choses : remplacer, supprimer ou ajouter une brique. Pour l’aspirateur si je cherche à supprimer le sac d’un aspirateur, j’ai alors l’idée de l’aspirateur sans sac, première grande invention de Dyson, qui a d’ailleurs érigé cette action de suppression en principe créatif en inventant ensuite le ventilateur sans pales.

C’est d’ailleurs parce que l’innovation est avant tout un jeu de Lego, que l’histoire de l’innovation est traversée par ce que l’on appelle les « multiples » : ces inventions conçues à des périodes proches par des individus différents, de manière indépendante. C’est le cas, par exemple, de la théorie de l’évolution, du téléphone, de la découverte de l’oxygène ou encore de la photographie, qui comptent tous plusieurs inventeurs indépendants. Et on répertorie ainsi des centaines de cas dans tous les domaines de la connaissance[1], les recherches montrant que nous sommes plutôt face à une règle qu’à des exceptions. Pourquoi ? Et bien tout simplement parce qu’à une même époque, les individus ont accès à la même connaissance, aux mêmes briques de Lego. Et si on joue avec les mêmes Lego, on a des chances de créer les mêmes formes, les mêmes idées.

Cette approche « mécanique » de la créativité possède une conséquence directe, plutôt que de chercher à cacher et protéger nos idées en s’en croyant propriétaire, on devrait s’encourager à les partager.

En partageant nos idées, on s’offre la possibilité, de réunir des briques de Lego de formes et de couleurs différentes offrant de plus grandes possibilités de création. Cela est possible si on est curieux, mais aussi et surtout si on sait être en relation avec les autres et notre environnement, échanger et partager pour découvrir de nouvelles briques. Il faut savoir jouer à plusieurs, partout, pour démultiplier les possibilités.

La relation

Et c’est ce qui nous conduit à mon deuxième terme après le Partage : la Relation. La créativité se développe avec la relation. Et c’est encore plus vrai pour l’innovation. En effet, la créativité, c’est avoir des idées, l’innovation, c’est transformer ces idées en réalité

Et si avec Internet, la créativité est devenue en partie globale, un jeu mondial où les idées circulent facilement, l’innovation, elle, est restée locale, territoriale. Pourquoi ? Parce que l’innovation, encore plus que la créativité, a besoin de la relation humaine pour se développer. Et elle se développe le mieux là où l’interaction est la plus efficace : en contact direct. Aucune technologie n’a encore dépassé la puissance de la rencontre et de la relation directe.

L’invention d’Hedy et George a été possible parce qu’ils se trouvaient sur le même territoire, en Californie, mais aussi parce que sur ce même territoire ils ont pu solliciter le professeur MacKeown de l’université technologique de Californie pour finaliser et transformer leur idée en brevet, et passer ainsi de la créativité à l’innovation.

Ce sont ces interactions humaines qui permettent les coopérations, qui sont nécessaires et indispensables au processus d’innovation qui consiste, je le rappelle, à passer de l’idée à la réalité.

Car que cherche le processus d’innovation ? Que cherchons-nous quand on cherche à innover ? A répondre à des besoins nouveaux ou non encore satisfaits, en entrant en résonance avec la psychologie et la sociologie d’une époque. Une idée ou une invention ne devient une innovation qu’à condition d’entrer en résonance tant psychologique (quand des individus ou des groupes s’approprient et utilisent l’idée ou l’invention) que sociologique (quand l’idée ou l’invention est diffusée et transmise dans le temps et l’espace au sein du tissu social).

L’écriture est devenue une innovation parce qu’à une époque, ses inventeurs ont en eu besoin, notamment pour gérer les premières cités humaines, mais aussi parce que ces inventeurs en ont assuré la diffusion dans le temps et l’espace, et parce que l’utilisation et la diffusion de l’écriture se sont perpétuées et diversifiées.

La voiture, l’électricité, Internet, le téléphone mobile, les applications mobiles ou encore les réseaux sociaux ne sont devenus des innovations que parce que des personnes se sont appropriés leur usage et qu’ils en ont assuré la diffusion dans le tissu social.

Innover, c’est donc rechercher cet invisible, cette résonance psychologique et sociologique. C’est avant tout une affaire humaine. C’est une action complexe qui nécessite inévitablement l’interaction et la coopération de différents savoir-faire, approches, idées, regards, spécialités…

Ce qui me conduit à mon troisième terme, car la créativité et l’innovation nécessitent donc le Partage et l’Interaction, mais aussi l’Ouverture.

L’ouverture

Le récit de la rencontre d’Hedy Lamarr et de George Antheil nous apprend en effet une chose, être créatif et innovant nécessite de s’ouvrir à la différence, à la diversité. Tout d’abord parce que la créativité est un jeu de Lego. Donc, réunir autour de la table des profils variés aux expertises et expériences différentes, c’est s’offrir la chance de réunir des briques de Lego de formes variées démultipliant les possibilités de création.

Mais aussi parce que l’innovation, cette recherche de besoins nouveaux ou non encore satisfaits, favorise ceux qui savent collaborer et s’ouvrir à des partenariats, même surprenants, dans le but d’être plus efficacement à l’écoute des besoins des clients, des clients avec qui il faut aussi chercher à collaborer.

Ce n’est pas un hasard si, dans l’Histoire, les organisations ou les territoires qui ont le mieux réussi sont ceux qui ont su être les plus ouverts[2]. Des économistes et sociologues, tel Richard Florida, ont d’ailleurs souligné comment la capacité d’un territoire à créer et innover était proportionnelle à des indicateurs tels que la présence ou non de populations dites « marginales » sur ce même territoire. Non pas que ces populations dites « marginales » soient plus créatives ou innovantes, mais tout simplement que la façon dont le territoire accueille ces populations (rejetées ailleurs) souligne son ouverture à la diversité, et donc sa capacité à créer et innover en se nourrissant de la diversité.

Startup, Territoire et lieux d’innovation

Partage, relation et ouverture. Voilà autour de quoi tisser pour développer une culture performante de la créativité et de l’innovation fondée sur la coopération. Et ici, chacun a son rôle à jouer pour faire émerger une culture de l’innovation propre à son territoire.

Car s’il existe de nombreux outils et techniques, il n’existe pas une méthode unique pour innover. Les startups, les entreprises, les écosystèmes, les territoires les plus performants en matière de créativité et d’innovation sont ceux qui inventent leur propre organisation, en cohérence avec leur histoire et leur identité.

C’est le rôle des Startups et des entreprises, qui doivent participer au partage des idées sur un territoire et rechercher en permanence de nouvelles coopérations avec leur écosystème. Attention cependant : rien de désintéressé ou d’uniquement charitable. Surtout pas ! L’objectif prioritaire de chaque Startup et de chaque Entreprise innovante doit être de faire du profit en identifiant et répondant à des besoins « clients », nouveaux ou non encore satisfaits. Tout doit démarrer en partant du « client » : mais je dois poursuivre mon propre intérêt, tout en comprenant que c’est le « collectif » qui est la méthode. Je dois chercher à identifier ces besoins « clients » et y répondre en exploitant au mieux les ressources et l’écosystème qui m’entourent grâce au partage, à l’interaction et à l’ouverture. Dans cette dynamique, mon environnement va devenir plus créatif et innovant, ce qui me rend moi-même, en retour, plus créatif et innovant, toujours grâce au tryptique partage-interaction-ouverture.

Startups et Entreprises Innovantes doivent donc être à la recherche permanente de nouvelles collaborations pour explorer de nouvelles pistes d’innovation, en plaçant toujours au cœur de chaque collaboration la confiance, une confiance qui se construit sur la capacité à prendre ensemble des décisions et à concrétiser des premiers succès rapides et visibles.

Le Territoire (regroupant les pouvoir publics, politiques et les citoyens) a aussi un rôle majeur à jouer dans cette dynamique : un rôle de facilitateur de l’innovation en s’appuyant également sur ce triptyque partage-relation-ouverture. Tout d’abord car le Territoire offre cette « proximité » qui est une clé pour établir des relations de confiance, indispensables pour faire se rencontrer et converger des acteurs aux activités et centres d’intérêts différents, dans le but d’hybrider leurs savoirs et expériences pour innover. C’est au niveau d’un Territoire que peut se rencontrer la diversité. C’est la mission du Territoire que de provoquer les interactions. Ensuite, car le territoire doit être approché comme un espace d’expérimentation. Il faut y faciliter le prototypage et l’expérimentation des projets d’innovation portés par ces acteurs, sans jamais, cependant, se substituer à eux. Une facilitation sur les aspects légaux, financiers, logistiques, etc.., mais aussi fournir les premiers testeurs ouverts à la dynamique d’innovation, ainsi que les premiers clients et marchés permettant de valider un modèle économique, avant que ce modèle entre dans une phase de croissance et de développement, du niveau territorial jusqu’au niveau national, européen voire international. Le rôle du Territoire est alors de capter les retombées de ces innovations (mais aussi des projets qui ont échoué) pour capitaliser et nourrir une véritable dynamique de créativité et d’innovation vertueuse et endogène au territoire, qui doit sans cesse se renouveler, se perpétuer et emporter l’ensemble de la société locale. Le territoire doit devenir apprenant, et développer un capital social et humain collectif apte à soutenir le processus de créativité et d’innovation.

Enfin, à l’intersection entre les Startups et Entreprises Innovantes et le Territoire, se trouvent les lieux d’innovation aux formes multiples. Ces lieux d’innovation ont également un rôle à jouer dans l’émergence de cette culture de la créativité et de l’innovation. Ces lieux doivent établir des ponts avec d’autres écosystèmes innovants, chercher des synergies et non pas la concurrence. Ils doivent également, et surtout, favoriser les partages, les interactions et l’ouverture. Entre les acteurs qu’ils réunissent, bien sûr, mais aussi en réunissant autour d’eux des décideurs publics et privés, des créatifs, des financeurs et des citoyens ou consomm’acteurs. Des potentiels de rapprochement et d’immenses gisements d’innovation restent encore à créer, notamment grâce à l’interaction des jeunes entreprises technologiques et des entreprises traditionnelles, voire artisanales, qui ne doivent pas se regarder avec défiance mais avec confiance.

C’est le rôle des lieux d’innovation de créer cette confiance. Faire se rencontrer les pionniers pour qu’ils explorent ensemble, coopèrent localement et innovent globalement.

[1] OGBURN William F. et THOMAS Dorothy, « Are Inventions Inevitable ? A Note on Social Evolution », Political Science Quarterly, vol. 37, 1922.

[2] GAO Huasheng et ZHANG Wei, « Employment Nondiscrimination Acts and Corporate Innovation », Management Science, juillet 2016.

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